• Nancy, je te vis...Premier chapitre.

    Première image de Nancy: sa Gare, sa place, la neige, le froid glacial, le garage de location de voiture et l'hôtel Ibis.

    Il programme le GPS de la voiture: Lunéville, quai des petits bosquets.

    "On doit manger avec le directeur de la coopérative laitière  et son épouse. Demain, il me fera visiter l'entreprise"...

    Elle grimace. Elle pense que c'est la meilleure tactique pour appâter son Minou sans travail.Un repas avec les épouses, un moment d'intimité pour se jauger!

    Dans un premier temps, le côté confidentiel, chaleureux et humain, puis, le lendemain visite de l'entreprise! Le côté professionnel avec un rythme effréné, dans le style" vous voyez ici, on ne plaisante pas!", afin de l'amener à prendre une décision rapide, de lui faire toucher du doigt l'Urgence!

    Ils parcourent le trajet dans un silence désolé: les autoroutes s'enchevêtrent et fendent un paysage plat, nu, froid. Il n'y a pas d'horizon, le gris rempli tout l'espace.

     

    Le GPS les conduit d'une voix laconique, vers le rendez-vous. Une petite ville: Lunéville. Le nom de cette ville est entachée de fermeture d'entreprise, une zone sinistrée...mais n'est-ce pas toute la Lorraine qui est sinistrée, amputée de sa sidérurgie, de ses mines, sinistrée d'hommes déchus de leur métier et de tout le reste!

     

    Décidément, ses pensées aussi, sont sinistrées!

    -Force-toi à sourire, pense t'elle, bouge-toi , ne rumine pas! Mouais....

    Le restaurant est kitch à souhait, confortable. On s'y sentirait presque bien.

    Mais, elle ne se pose pas sur la banquette, elle choisit la chaise et ne pose que la moitié de son postérieur: une position inconfortable est le meilleur moyen de rester vigilante et de ne pas se laisser endormir.

    Les présentations se font, l'épouse est charmante et même avenante.

    Elle s'efforce d'être présente.

    "..Et puis, vous pourrez inscrire vos enfants au collège et au lycée ici, à Lunéville..."

    Elle essaie d'avoir l'air intéressée, car elle sait que ses yeux parlent trop souvent pour elle et la trahissent, mais en elle, il y a des turbulences.

    "Non, je ne vais pas inscrire mes enfants au lycée de Luneville! Mais non!Mais elle divague, cette femme. Jamais on viendra ici! Encore les changer d'horizons, je ne peux pas! Je vis un cauchemar!Mais qu'est-ce que je fais là!"

    Et elle repart vers les terres d'Aveyron où leur vie était toute tracée. Ces terres sauvages, les plus beaux paysages de sa vie, fiers, rudes, majestueux et si calmes...Et si loin d'ici...Au Sud! Surtout ne pas se laisser envahir par la vague de mélancolie qui risque de mouiller ses yeux d'un instant à l'autre.

     

    Elle se racle la gorge et fait un sourire courageux! Un pauvre sourire qui fera bien illusion. 

    -Hum, excusez-moi, je reviens!

     Respirer, se calmer, respirer encore.

    De retour dans la salle, elle se détend un peu, et fige son visage avec un sourire avenant qui lui donne la distance suffisante pour apprécier la situation.

    Lui, il accroche bien. Elle le voit, volubile, la tête penchée vers ses interlocuteurs. De temps à autre, elle surprend son regard rapide . Il sent les réticences muettes de sa moitié et son sentiment de culpabilité jette un voile oppressant sur son esprit.

    A la fin de la soirée, ils parlent du bon repas, et de l'accueil chaleureux du couple. Ils regagnent l'hôtel avec toutes ces banalités sans aborder l'essentiel. Ils s'endorment muets. Elle se réfugie dans le sommeil , s'échappe de l'endroit où rien n'est familier. Comme l'inconnu est épuisant!

    Le lendemain, elle se réveille quand il lui dépose un baiser tendre sur le front.

    "Je pars, j'ai rendez-vous dans 5 minutes en bas de l'hôtel. Je ne serai pas de retour avant 15h. Tu te débrouilleras dans Nancy? Profite pour visiter un peu.. Rendez-vous à la gare!"

    La journée est glaciale mais le ciel est d'un bleu profond. Nancy se met sur ses plus beaux atours pour la séduire. La ville est belle. C'est indéniable. Le centre-ville strié d'avenues géométriques est animé, très commercial. Une belle population la sillonne. Nancy exerce un apaisement. Elle a tous les attraits d'une ville jeune, dynamique avec l'emprunte passionnante de l'Histoire. C'est une ville à découvrir. Malgré elle, elle se sent séduite.

    Mais elle arpente seule les rues grouillantes de vie et elle se sent déplacée. Le temps s'allonge. Elle voudrait rentrer, s'enfermer, ne plus avoir de décision à prendre, ne plus partir, ne plus avoir froid... Elle retourne sans difficulté à la gare et s'installe dans un café pour lire, s'évader. Elle regarde son livre, pleine de reconnaissance à son égard. Au moins, avec les livres, elle avait la certitude d'une échappatoire. Elle plonge dans les mots, reléguant la réalité de ce moment et l'inconnu. 

    Il revient . Elle lève la tête et lui sourit. Un sourire intact.

    Quand il se penche sur elle pour l'embrasser, elle s'accroche à lui.

    Et Elle se lance dans un réquisitoire chagrin, tout ce qu'elle a dans son ventre!

    "Je ne veux pas m'installer ici.On est dans l'Est ici. Tu as regardé la carte? C'est tout en haut! Et puis, l'Est, c'est... c'est la Sibérie, Minouuu!

    Moi,je suis du sud, je suis du Soleil, ou juste à côté!

    J'veux pas être si loin! Loin de mon fils, loin de mes parents, nos amis, loin de tout ce que je suis....

    Et puis tu les as entendus parler! Je ne comprends rien , c'est du lourd ici!! Ca doit être l'influence allemande! Ca heurte mes oreilles. Alors que chez Nous,...! Hein?

    Et puis touche mes mains! Je vais avoir du froid plein le corps et je serai tellement frigorifiée que mon esprit, ...même mon coeur sera gelé...."

     

    Le Minou  enserre les mains tendues, et c'est vrai qu'elle sont glacées.

    "Mais, ma chérie, on est déjà loin de notre fils, loin de ceux qu'on aime..;"

    "Oui, mais il va falloir tout  recommencer? Encore? Et puis, tu sais bien comme on a été leurré par Les Autres..."

    "J'ai plus envie!"

    Du coup, Minou ne sait plus.

    Si elle ne veut pas, je ne peux pas. On doit avancer ensemble! Mais que vais-je devenir? Où irons-nous? Je vais attendre, on ne sait jamais. Je vais peut-être recevoir une autre proposition d'embauche.

    Ils repartent vers cet ailleurs qui n'est même pas leur chez eux.Ils sont arrivés dans l'Ouest pour une promesse d'emploi. Et il se retrouve pour la seconde fois à pointer au chômage. 

    Alors, ils ne parlent plus de l'Est.

    Ils arpentent côte à  côte les plages du débarquement , se grisant d'iode, des vastes étendues, marchant respectueusement sur le sable tâché du sang innocent des soldats,des enfants qui avaient l'âge de son fils, de cette chaire à canon sacrifiée.

    Ils vont manger les coquilles Saint-Jacques fraîchement pêchées à Port en Bessin, sur les coups de 15 heures, au retour des bateaux. Ils restent près du feu. Ils sont deux pour les enfants. C'est Minou qui les amène au collège et va les chercher. Pendant qu'elle prépare des crèpes pour le goûter. Quelque fois, ils y vont ensemble. C'est comme des vacances ou une douce convalescence avant d'affronter cet inconnu qui reste à venir.

    Toujours ensemble. C'est la première fois de leur vie de couple qu'ils passent autant de temps à deux.

    Ils vont faire des courses.

    Alors qu'elle flâne dans les rayons, à la recherche d'une idée de menu pour la petite troupe, Minou dépose dans le caddie, trois paquets de saucisses et boudins. Elle stoppe le caddie et le dévisage:

    "Mais, tu aimes ça toi?"demande-t-elle surprise, avec une grimace qui fait comprendre qu'elle n'aime pas du tout. Elle sait déjà qu'elle reposera ces achats dès qu'il aura le dos tourné. Elle est à peu près sûre qu'il n'aime pas ça, lui non plus!

    "Non, mais tu vois, c'était un type qui faisait une animation. J'ai eu pitié et je me suis dit que dans quelques temps, ce serait moi à sa place..."

    Et tous les deux, agrippés aux barreaux du caddie, consternés, ils regardent cet homme devenu l'objet d'une observation cruciale. Il range ses paquets de boudins noirs, boudins blancs, de petites saucisses de coktail, seul, sur un stand de pacotille, posé, incongru!

    Il se redresse, remonte son col de chemise, passe une main molle sur ses rares cheveux et lance un regard circulaire .

    Et elle, elle voit son Minou, là, à cette place. Pas à sa place!

    Et lui, il y est déjà.

    "...parce que tu vois bien, je n'ai toujours pas eu de propositions de poste... enfin, à part, euh...tu sais où!"

    L'homme observé, enjeu d'angoisse sans le savoir,croise leur regard et pris sur le fait, elle ne peut qu'esquisser un pauvre sourire et vite baisser la tête, semblant préoccupée par la liste qu'elle tient à la main. Minou, lui, esquisse le même pauvre sourire et soulève les paquets de saucisses d'un air entendu! Avec un clin d'oeil complice!

    Ils ont tous les deux la même certitude. Mais, Minou attend qu'elle donne la sentence qui ne saurait tarder. Ils sont tous les deux secoués.

    Ils tournent les talons promptement.

    "Minou, c'est décidé. On va dans l'Est, tant pis!" déclare t-elle sûre de sa décision.

    Mon Minou ne deviendra pas ...ça!

    On déménage!

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    Minouu
    Samedi 16 Octobre 2010 à 21:40
    C'est troublant.
    Ce texte est vivant ! Manque juste une phrase de transition entre Nancy et les plages de Normandie.
    Bisous
    Minou
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