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Ce soir, devant ses enfants, Nini dessert la table lentement. Ils trépignent d'impatience!
-Le gâteau, le gâteau!
Ils ont chacun une cuillère dans leur main droite et tapent la table au rythme des deux syllabes pour appuyer l'urgence de la séquence suivante. Elle remarque que sa fille s'est saisie de la cuillère de son père afin d'en avoir une dans chaque main.Elle était même en train de lorgner sur la sienne, mais elle devait se demander ce qu'elle en ferait, car elle avait une petite ride entre ses sourcils, signe de réflexion tracassée. Et à elle seule, elle fait bien sûr, plus de bruit que ses deux frères réunis!
-On va changer les assiettes, mes "affreux"! Chéris.
Le Minou s'est levé, prend les assiettes et les couverts sales pour les déposer dans la cuisine. Nini se rassoit, et pensive les regarde tour à tour, avec un immense sentiment de fierté maternelle qu'elle sait déraisonnable! Mais elle ne peut pas s'en empêcher!
-Tu sais, mon Grand, il y 12 ans tout juste, les premiers jours de grand froid arrivaient. Il y avait beaucoup de vent. Le froid était sec mais glacial. J'étais toute contente de sentir les premières contractions. Surtout qu'elles arrivaient avec le week-end, et donc papa était là.
-Ouiiii, on sait maman! A chaque anniv, tu nous racontes l'accouchement!
-Le gâteau, la gâteau!!
-Et les cadeaux! Les cadeaux! hurle la petite dernière toujours la première!
Nini se replonge dans cette journée marquée dans sa mémoire de façon indélébile. Un souvenir au présent.
La vieille, elle avait passé la soirée à répondre au téléphone à toute la famille ,aux amis, que le bébé n'arrivait pas! En plus, le Minou l'avait appelée toutes les heures .Il était en déplacement et était inquiet de la savoir seule, et lui, si loin. Ca la mettait hors d'elle quand elle l'entendait lui demander, rempli d'angoisse:
-Alors?
-Alors quoi?
C'était vache, de sa part!
-Rien, Nada, Niet, Que dalle. S'il te plait arrête de m'appeler! JE t'appelerai!
Elle a raccroché et mis le 33 tours (attention, on ne rigole pas! En 1985, on avait des disques!) de Michel Polnaref à fond pour s'étourdir, chanter avec lui et danser tout son sâoul. Elle tenait son ventre en tournant et sautillant, avec une lourde grâce!! Elle se sentait pleine d'appréhension, de craintes vis à vis de cette douleur d'accouchement dont les femmes ne parlent pas vraiment, ou avec ce sous entendu résigné, "tu verras bien!". Elle s'interrogeait sur l'apparence de son fils (elle savait que c'était un garçon et en était très fière!), se demandait si elle saurait s'en occuper dignement.
Elle n'avait qu'une certitude: elle l'aimait déjà et elle l'aimerait trop.
Il parait que trop, ce n'est même pas assez!
Mais simultanément à cette crainte, entremélèe, il y avait cette excitation de l'Inconnu...Il serait forcément formidable! Il aurait toutes les qualités, il ne serait pas comme les autres, ce sera Son fils!...celui du Minou aussi, bien sûr!
Elle s'arrête de danser et monte l'étage, alourdie, pensive...passe dans le couloir étroit, laisse la première porte, à droite, celle "du bureau-chambre de famille ou amis", puis pénètre dans la seconde pièce, en poussant délicatement la porte.
Elle se plante, droite et fière, les bras croisés sur son gros ventre calme, et admire la chambre du "petit d'homme" à venir....Le lit à barreau est fait, tiré à 4 épingles, 2 peluches propres dans le coin. Elle l'a sécurisée avec un tour de lit matelassé, et décorée avec un mobile musical..Fisher Price!
Contre le mur, la table à langer, et tous les flacons se tiennent droits, prêts à servir la peau douce du bébé. Elle a choisi la marque Mustela, car son odeur renferme toutes les fragances d'un bébé...
La commode déjà investie par quelques vétements...et le sac du bébé! C'est une idée de sa soeur. Elle l'a lui a offert dès que le troisième mois de grossesse était passé. Un sac molletonné, blanc avec pleins de petits nuages cotonneux et des des agneaux qui jouaient à saute-mouton en prennant appui sur eux... c'était si inattendu, si joli! Mais en plus, le sac contenait le nécessaire pour les sept premiers jours d'une vie! Le plus beau cadeau!
Le sac était prêt mais comme chaque jour, elle l'ouvre et fait l'inventaire...Une façon de s'approcher de lui...de le soigner déjà!
Puis elle sort de la pièce, se retrouve à nouveau dans le couloir et rentre dans sa chambre. Son sac à elle est prêt aussi...des vétements , un livre, et un cahier.On ne sait jamais si l'inspiration venait! Son carnet d'adresse et une petite trousse. Prête!
Et toi, petit bonhomme dit-elle en se caressant le ventre...Tu es prêt aussi?....
Minou est rentré, la soirée s'est passée avec douceur, Nini accrochée à son bras.
Elle est brusquement réveillée par son propre gémissement . Elle jette un oeil au réveil: 6 heures! Ce n'est pas une heure pour se lever! Elle se sent bizarre: son ventre semble porter la trace d'une douleur spéciale comme s'il se contractait sous l'impulsion de...
-Minou, Minouuuuuuuu! Il arrive!
-Mummmm!
Elle le secoue de son bras droit, elle n'ose pas trop se mobiliser, pas trop bouger! Elle s'essaie à des gestes maitrisés.
-Bon, Minou, j'accouche!
L'information passe ses oreilles, remonte lestement dans le cerveau et atteint la compréhension sous le mode " électrochoc".
Il se retrouve catapulté hors du lit, les yeux hagards, se portant sur le ventre puis sur le visage de Nini...puis sur son ventre et encore sur son visage..
-Bon! Tu es prêt? parce que moi, il faut, en premier lieu, que je mange! Eh oui, ça pourrait durer plus de huit heures et tu me connais, je ne pourrais survivre à un jeun pareil! Dès que j'aurai mis les pieds dans la clinique, ils sont bien capables de m'affamer. Bon, remarque, il vaut mieux être à jeun si tu as besoin d'une anesthésie! Ensuite, il faut que je me lave, je dois être nickel! Tu penses, une infirmière qui accouche doit être encore plus propre que propre! Ha et mon parfum, il faut que je le mette dans le sac pour LUI...Et..
-Et bla, bla, bla..Minou regarde Nini et ne comprend rien à ce qu'elle dit!
Elle parle, parle encore et sort tranquillement de la pièce..
Il reste seul avec ce bruit infernal qui couvre tout le reste: un boum, boum tonitruant. Se lever, s'habiller...faire des choses simples...Ses yeux tombent sur le sac. Prendre les sacs. Ses mains sont moites...
-Tu viens déjeuner avec moi? crie t'elle d'en bas!
Il s'exécute docilement. C'est presque rassurant. Car il a l'esprit dans du coton, ...c'est comme dans les films, il se retrouve aussi bête et apeuré que tous les guignols caricaturés dans les comédies.
Il l'a rejoint dans la cuisine, elle est attablée devant son café ses tartines beurrées et sa confiture de fruits rouges: son sacro-saint petit déjeuner!
Bla, bla, bla....Mon Dieu, Il sera bientôt là, il va falloir que je l'assiste pendant l'accouchement! Moi qui ne supporte pas toutes ces odeurs d'hôpital...et tout ce sang qu'il va y avoir...et pourvu qu'Il soit normal...et qu'il n'y ait pas de problèmes pour Nini.
Il la regardait, son petit soldat, bien brave, prête à affronter des heures...douloureuses.
Elle garde sa tartine levée, et semble réfléchir, soudain silencieuse. Une contraction arrive doucement, tend son ventre, l'immobilise quelques secondes, puis repart tranquillement. Bon, si ce n'est que ça! Pff! Je vais gérer comme une chef! Elle sourit au Minou et enfournejoyeusement la tartine qui l'attendait dans sa main.