culture, informations, musique, lecture, cuisine, bricolage, broderie...un peu chaque jour
Ce jour-là, je m'en souviens comme d'un cauchemar...
Ce jour succédait au 11 septembre 2001, dans ma petite vie tranquille, à Saint -Affrique, le 12 septembre...
Ce jour là, c'était un mercredi...le jour des enfants s'est transformé en coup de poing, en pleine figure.
C'est le jour où on réalise que la vie peut basculer d'une minute à l'autre.
Mercredi midi. Stephan et Justine n'ont pas cours, ils sont en primaire.
Je ne travaille pas, je suis infirmière scolaire.
Le téléphone sonne alors que je finis de mettre la table. Il fait beau. Il est 12h06. Le repas est prêt. Je décroche.
"Maman?"
"Romain? ...Qu'est-ce qu'il se passe? "Ma voix dérape et je sens une peur cavaler en moi.
"Ça va, il faut que tu viennes tout de suite, je suis juste au carrefour avant la maison.."
"J'arrive".
Je frissonne. Je raccroche. J'ai la respiration courte.
Je saisis les clès, et j'envoie à la cantonade, un "je reviens, je vais acheter du pain chez Fournier" qui se veut rassurant, mais je vois le regard de Justine qui s'interroge. On semble reliées par un fil invisible, mais réel.
"Je viens avec toi"
"Non, je suis pressée, garde le chien, s'il te plait!"
Je sais qu'elle cèdera sur cette invocation, celle de s'occuper de notre "peluche"!
Je fonce, je sors du lotissement et j'arrive immédiatement vers le carrefour...des voitures sont arrêtées dans tous les sens, rendant la circulation impossible, des gens debout...et au milieu, une voiture avec, dans son pare-brise, une moto plantée...la moto de Romain...
Je suis clouée sur le siège. Romain..je viens bien de l'entendre! Je me mets à suffoquer, mes mains tremblent, je sors de la voiture, la laissant plantée au beau milieu. Je marche, mais j'ai les jambes qui me portent mal. Je fixe cet impact ahurissant. Je suffoque.
Je me mets à courir. Je cherche Romain. Comment peux t'on survivre à un accident pareil.Je cherche mon fils. Au milieu d'un attroupement, je le découvre à terre, allongé sur le béton...lieu indigne et rude pour ma merveille..Et là, je deviens deux, celle qui tombe à genoux et hurle et celle qui va faire "la maman"...
"Maman"
"Oh, mon dieu, oh, mon dieu, mon Romain!"
Tout le monde m'explique, il parle doucement, je scrute toutes les parcelles de son corps à la recherche d'une blessure, d'un saignement. Je prends sa main, tâte son pouls, vérifie son regard, passe ma main sur son visage, son crâne.Je palpe ses jambes. Il lui manque une basket. Sa cheville...et je pleure pendant tout ce temps. Et je demande si les secours ont été appelé. Je lui interdis de bouger. Je manque d'air.
Un monsieur me dit que Romain n'a pas voulu lui donner notre numéro de téléphone car il lui a dit: "vous ne connaissez pas ma mère, elle va faire une attaque si vous lui dites que j'ai eu un accident" . Il a exigé qu'on lui donne un téléphone. Mais comment a t'il pu "s'occuper" de moi après avoir subi un tel choc.
Un jeune garçon lui a refusé la priorité, le percutant presque de plein fouet, il a été projeté à 10 mètres de l'impact sur le trottoir où il s'est écrasé comme un pantin , sans vie. Une personne présente, m'a avoué qu'il entendait résonner ce bruit de chute dans sa tête. Une poupée molle qui s'écrase...puis, le silence... Il a été choqué pendant quelques semaines!
Pompier. Gendarmerie. Pas de test d'alcoolémie pour le conducteur...c'était le lendemain du 11 septembre, les gendarmes avaient "d'autres chats à fouetter"...mais pour moi, c'était mon 11 Septembre. Même si c'était un lendemain....J'ai perdu 3 kilos en une journée. J'ai été mangée, rongée par cet aperçu terrifiant d'une vie soudain sans lui, sans moi, avec lui...un appel et la vie s'arrête...non, elle devient l'Enfer. La terre continue de tourner....
Romain a été fortement secoué,.." quand, j'ai vu cette voiture foncer sur moi, j'ai hurlé quel con, et puis je me suis rendu compte que ce serait mon dernier mot...le dernier mot de ma vie sur terre..." Et il a vu des flash de 16ans de vie, des photos...il ne m'a pas dit lesquelles...ainsi, on voit bien sa vie défiler! Il n'a plus dit de grossièretés pendant longtemps, il avait pris une distance avec les événements...
A l'hôpital, il me faisait répéter tout plusieurs fois. Je m’inquiétais pour sa scolarité, il rentrait en première S.
Quand il voyait mes larmes , il me disait, calmement: c'est rien maman, regarde ce qui se passe à New York.
Fracture du calcanéum, commotion cérébrale, cage thoracique meurtrie...pendant 2 mois, il n'a pu éternuer sans souffrance, pour ce qui est de rire...
Il a du réapprendre à marcher pendant presque 3 mois, avec 2 béquilles, puis une ...il était tout de guingois, déséquilibré. Je l'amenai tous les 2 jours chez le kiné. Je lui avais appris à marcher à un an et là, j'avais l'impression de recommencer.
Un jour, alors que j'attendais Romain d'une séance de kiné, je laissais mon regard errer sur la terrasse d'un café. Le garçon responsable de l'accident était en train de boire un café et parler en souriant à une jeune fille. J'ai eu une curieuse sensation, en constatant que, pendant ce temps, mon fils, lui, était occupé à sa rééducation motrice...je lui en ai voulu terriblement! Je trouvais la situation injuste.
Il a été coupé de toutes les activités et de ses amis pendant près d'un trimestre. Il avait 16 ans .
Le vendredi 21 septembre 2001, Olivier, mon mari, me propose d'amener Romain au lycée, puisqu'il devait se rendre pour la journée sur Toulouse....
Une belle journée, l'été indien...Après le 11 Septembre, on avait pris l'habitude exagérée , d'être en relation constante avec l'information...On était en alerte, un plan vigie pirate à son maximum...et une paranoïa installée.
La Tv était allumée, comme ça, et la radio branchée sur France Inter.
10h 20. Une annonce...une explosion, un attentat....sur Toulouse!
Dans ma tête, c'est une cavalcade...la reconstruction après le choc, les chocs, cette reconstruction du quotidien, est si fragile que ses fondations risquent de ne pas supporter un nouveau drame. Je respire...et le temps égrenne doucement les secondes dans l'attente d'information...
Olivier est au 3° étage, dans une salle de réunion spacieuse, moderne, avec de belles baies vitrées. Belle vue. Réunion de travail intense, il a l'esprit tout occupé quand le sol se met à vibrer, sourdement. Chacun suspend son activité, un silence...trop silencieux, puis une déflagration explose les vitres en une onde destructrice.
Dans l'esprit de chacun, une seule pensée: un attentat...mais pourquoi Toulouse et pas Paris...Réunion d'hommes, réactions froides, l'instinct de survie...chacun empoigne ses affaires, et se précipite dans le couloir...les sirènes d'alarme se sont enclenchées rendant impossible toutes conversation. Certains se précipitent vers les ascenseurs, mais d'autres empêchent le passage...bon sang, vous ne voulez pas être coincés dans l'ascenseur!
Les escaliers de service résonnent des pas précipités...le fracas scande la panique générale. Les oreilles d'Olivier bourdonnent de cette explosion qui semble se répéter dans sa tête, ne lui laissant aucun répit...
Tous s'éloignent le plus possible de ses petits immeubles d'affaire soufflés et dépouillés de leur vitres...Ils se sentent tous en danger.
Une ambiance de guerre s'installe dans la ville...il semble que ce doit être comme ça quand il y a la guerre! Des sirènes sifflent de toutes parts, les sirènes des alarmes se mêlant aux sirènes des voitures de pompiers , de gendarmerie, de police municipale...des gens crient, et les mots se perdent dans ce brouhaha. Un nuage noir s'échappent à 2 km de là...et olivier entend " c'est l'usine AZF?"..."ils ont fait sauté l'usine?"...
Olivier compose vite le numéro de téléphone de la maison...l'appel ne peut aboutir...les lignes sont saturées. Et là, il se met à avoir peur...Véro, les enfants...il faut que je sorte de là!
Tous les regards sont tournés vers le ciel...un nuage de poussière jaune s'étend sur la ville...La panique semble gagner tout le monde.
"Un nuage toxique..." la radio égrène les conseils:"protégez-vous la bouche d'un tissu humide, évitez de sortir, calfeutrez-vous, ne téléphonez pas, les lignes doivent disponibles pour les appels d'urgence et les secours..."
Dans sa voiture, Olivier essaie malgré tout de joindre son domicile...La route est surchargée, il roule au pas quand il n'est pas stoppé...
400 tonnes de nitrate d'ammonium, en stockage, destinés aux engrais, ont explosé creusant un cratère de 70 mètres de long, 40 de large et 6 mètres de profondeur... l'explosion a été entendu à 80 km de l'impact. 31 morts et 2500 blessés...officiellement!
Le temps prend une autre dimension, les minutes, les heures ...des ondes élastiques, des vibrations qui envoie l'esprit dans un ailleurs cotonneux..jusqu'à ce que la réalité vous reçoive à nouveau, dure et implacable...
13 heures..le téléphone sonne.
"...je vais bien, je...." plus rien. Mais il va bien!
Merci, vous là-haut. Merci!
Maintenant prévenir et rassurer. J'ai appelé le lycée pour que Romain soit informé. Je voulais lui éviter tout inquiétude supplémentaire.Et puis....attendre, attendre son retour. Sera t'il blessé?
Il est arrivé vers 17 heures avec un visage que je ne lui connaissais pas. Gris, il était gris et son regard était..sans reflets. Impressionnée, j'ai ressenti tout ce qu'il avait vu, et entendu. Nous n'avons pas parlé. Il s'est déshabillé et s'est mis au lit, j'ai fermé les volets. Et je l'ai laissé seul, dans le noir et le silence...assourdissant.
Il a dormi jusqu'au lendemain. Et n'en a plus beaucoup parlé.
Il s'est concentré sur Romain...nous avions chacun notre tâche. Lui a voulu le remettre sur une moto et l'a amené dès qu'il fut en état, en promenade derrière lui, sur sa grosse moto...il l'a mis au vélo, avec notre tandem, lui permettant une reprise douce de sport.
Il y a eu un procès.
Romain est remonté sur sa moto et s'est adonné au cross avec son père.
Mais j'ai en moi, ces journées de l'après 11 Septembre....
J'ai fini cet article pour Nadine... qui attendait la fin de l'histoire.
Sans vos commentaires ou vos remarques, je me demande quelques fois si ça vaut le coup de continuer à écrire....